Je profite d’une journée de déluge pour dépiler mon stock d’articles à écrire et poursuivre ma série sur les armures, avec le cas particulier des armures noires ou noircies qui sont peu courantes en occident (mais pas au japon où l’utilisation de laque noire fut un critère esthétique courant à partir de l’époque d’Edo et donnait sans doute un effet visuel équivalent au polissage européen).
En effet, l’armure est initialement un équipement de luxe que son coût réserve à la noblesse, qui en fait également un marqueur statutaire. Puisqu’ils en ont les moyens, les nobles fortunés peuvent donc se payer les services d’un écuyer ou d’un page pour entretenir leur armure en la polissant. Seuls les seigneurs qui souhaitent rester anonymes en gommant leurs armes héraldiques sont réputés se présenter en armure noire, et probablement plutôt en tournoi qu’à la guerre, où être reconnu comme une personne solvable constituait une véritable « assurance vie »…
La principale exception notable serait celle du « prince noir », Edouard de Woodstock, fils du roi d’Angleterre Edouard III, mais celle-ci est controversée. Son surnom de prince noir serait dû soit à la couleur de son armure ou de la housse qui recouvrait celle-ci, soit d’après ses détracteurs à sa noirceur d’âme (après la bataille de Crécy, il aurait fait exécuter tous les soldats français blessés incapables de payer leur rançon). En tout cas, il n’était pas utilisé par ses contemporains et n’apparaît qu’environ 200 ans après sa mort (mais de sources anglaises néanmoins)…
Quand la fabrication d’armures s’est industrialisée, les nobles ou soldats moins fortunés ont pu s’équiper d’armures de moins bonne qualité (principalement originaires de Nuremberg, où l’on ne parlait apparemment pas encore de Deutsche Qualität), qui pour la plupart étaient noircies de peinture pour masquer leurs imperfections, éviter qu’elles ne rouillent et économiser sur l’entretien. Ces chevaliers noirs, quand ils n’avaient pas prêté allégeance à un autre seigneur, étaient sans bannière et se vendaient au plus offrant comme mercenaires. Le vernis utilisé déteignait parfois sur le visage et les mains du porteur, qu’on appelait pour cette raison « diable noir » ou « barbouillé ».
Parmi ces mercenaires équipés d’armures noires ou aux visages barbouillés, on doit citer les reîtres noirs, de sinistre réputation, apparus en Allemagne vers 1540 et qui se vendaient à un camp comme à l’autre pendant les guerres de religion. Au-delà de son aspect fonctionnel (un compromis entre protection et mobilité), l’armure retrouvait une fonction de déstabilisation psychologique : la conjugaison des exactions des reîtres noirs et la couleur de leur armure inspirait la terreur (les légionnaires romains recherchaient le même effet quand ils marchaient en formation avec le bruit provoqué par l’entrechoc des petites pièces de métal accrochées aux lanières de cuir pendant de leur ceinture).
Ces « bad boys » vont ensuite inspirer une véritable mode pour des armures noires d’apparat auprès de gentilshommes fortunés, séduits par (le côté obscur) la liberté et l’indépendance prêtées aux tactiques de harcèlement utilisées par ces reîtres noirs. Mais les armures de cette époque ne répondent déjà plus à des nécessités fonctionnelles de protection et s’apparentent bien plus à un costume lié au rang ou à la fonction du porteur. Il existe ainsi plusieurs portraits de rois de France en armures noires, notamment d’Henri IV, Louis XIII (dans l’armure de papa ?) et Louis XIV. Gilles de Rais, qui semble être un very bad boy, sera également représenté en armure noire, mais dans un portrait imaginaire très tardif…
Bien plus tard, vers la fin des années 1950, on voit apparaître une nouvelle mode, celle des blousons noirs, qui vont semer la pagaille dans les rues de Paris… Et vers la fin des années 1970 (mais dans une galaxie lointaine, très lointaine…), le bad boy ultime, le seigneur noir des Sith, Darth Vader (mélange de dark/death invader, devenu Dark Vador en VF), revêtu d’une armure noire high-tech d’inspiration germano-japonaise, qui a bien évolué au cours de la saga. J’ai d’ailleurs une révélation à faire sur le seigneur Vader ! Contrairement à ce que l’on dit, celui-ci ne serait pas le produit d’une conception virginale, mais un lointain descendant du Chevalier noir vu dans Sacré Graal ! Je vous laisse en juger d’après ces portraits de l’aïeul et de son rejeton, ma foi très ressemblants 🙂

Ci-dessus, photo d’armure noire de sous-officier lansquenet
prise au Kaiserburg-museum de Nuremberg.
En complément deux photos prises au Musée de l’Armée, aux Invalides, à Paris.
Ce n’est apparemment pas une de celles offertes par le Shōgun au roi de France et représentée au plafond de la Galerie des Glaces à Versailles.
avec un commentaire intéressant sur sa qualité et sur l’armement associé…